Aujourd’hui la classe de niveau est la norme dans la plupart des écoles. Cette organisation vient d’une décision de François Guizot en 1833 suite à une querelle entre les partisans de la classe mutuelle et les partisans de la classe en mode simultané (une classe d’âge par niveau). Cette dernière organisation met en avant la place du maître au sein de la classe et peut ainsi assurer un enseignement moral. En effet, l’importance donnée à l’apprentissage de la vie en société, la coopération est moins mise en valeur dans une classe de niveau.
D’où notre question : La classe multi-âges ou classe de cycle est-elle un facteur favorisant le vivre ensemble et l’entraide entre élèves ? Comment les pédagogies actives peuvent aider à gérer les classes multi-âges et ainsi développer les compétences sociales des élèves ?
Nous faisons l’hypothèse que les classes multi-âges favorisent les interactions entre élèves et développent ainsi l’entraide et la coopération. Les compétences alors acquises pourront aider les élèves à se construire dans la société et approfondir leurs apprentissages.
L’objectif de la maternelle est le développement du langage et l’apprentissage de la vie en société. Pour vivre davantage d’interactions entre les élèves, il nous parait intéressant de développer la coopération telle qu’elle a été étudiée par Sylvain Connac[1]. En effet, pour mettre en place une pédagogie coopérative, Sylvain Connac préconise un cadre spécifique et également une hétérogénéité d’âges, par exemple dans une classe multi-âge ou une classe de cycle. Par ailleurs, François Le Méhanèze[2] institue dans sa classe la coopération et le multi-âge pour mettre en place un réseau d’entraide naturelle. L’élève est responsabilisé et ainsi remis au centre des apprentissages. Afin de gérer au mieux les échanges entre pairs dans une classe multi-âge, il convient de repenser les modalités d’organisation de sa classe.
« La coopération dans une classe multi-âges permet à chaque élève de progresser à son rythme »
En premier lieu, il sera nécessaire de modifier sa posture en tant qu’enseignant. En effet, l’enseignant devra laisser une place à l’imprévu et se mettre en retrait afin de montrer aux élèves qu’ils sont « capables de pallier l’absence de l’adulte »[3]. Ensuite, la coopération est mise en place dans un cadre institutionnel spécifique. Celui-ci, inspiré des techniques de Célestin Freinet permettra aux élèves d’évoluer dans un environnement favorable aux apprentissages. De plus, les élèves doivent pouvoir se construire avec un objectif d’apprentissage clair. Jean Piaget émet l’idée qu’un élève accepte plus facilement les règles de vie en groupe quand il a perçu les bienfaits de la coopération. La classe multi-âges est un atout dans une organisation coopérative car elle permet de gérer au mieux une pédagogie différenciée. La coopération dans une classe multi-âges permet à chaque élève de progresser à son rythme. François Le Méhanèze[4], dans son expérience, met en avant le caractère social et moral de la coopération. Elle permet, d’après lui, de créer de la solidarité et de créer une dimension sociale aux interactions vécues. De plus, les élèves apprennent à travailler pour eux-mêmes et pour les autres. L’entraide est institutionnalisée et permet à tous les élèves d’en bénéficier. Dans son école, Bruce Demaugé-Brost[5], nous permet de voir que les élèves prennent un rôle de tuteur pour accompagner les nouveaux arrivants dans sa classe de cycle. Les élèves sont alors responsabilisés et perçoivent alors la dimension sociale de la coopération. La coopération dans une classe de cycle permet aux élèves d’être plus autonomes. Bernard Collot[6] souligne en effet l’autonomie que ses élèves acquièrent dans sa classe de cycle qui est considérée comme un cocon. Les élèves sont en sécurité et « chacun peut et doit contribuer à en faire une microsociété dont les règles deviennent auto-protectrices et dans laquelle on peut agir plus librement et de façon plus autonome »[7].
Dans notre hypothèse, la classe multi-âges faciliterait les interactions entre élèves, qui seraient ainsi en situation d’apprentissage au niveau psychosocial et social. Dans un classe multi-âges, il est plus facile de faire vivre les pédagogies actives et elles entrainent un développement de l’entraide et de la coopération.
Afin de répondre à notre hypothèse, nous avons choisi de mener une expérimentation dans le cadre d’un projet sur les insectes entre une classe de Petite Section et de CE1. En Petite section, les élèves communiquent peu entre eux et les interactions lors de projets de groupe sont limitées. C’est en partie dû à leur maturité et leurs niveaux de langage très variés. Partant de ce constat, nous avons souhaité vivre un projet partagé entre une classe de petite section et une classe de CE1. L’objectif de cette expérimentation est de voir si les interactions entre élèves d’âges différents sont plus riches. De plus, nous poserons la question de savoir si ces interactions sont bénéfiques aux élèves dans le domaine psychosocial. Le point de départ du projet est né d’une question d’un élève de Petite section qui a trouvé un insecte inconnu dans la cour de l’école. Les élèves de PS ont été amenés à demander de l’aide aux CE1 pour obtenir plus d’informations.
Dans un premier temps, les élèves se sont simplement rencontrés en se mettant en groupes de 2 à 3 pour feuilleter des livres documentaires sur les insectes à la recherche de nouvelles informations. Dans un deuxième temps, les élèves de Petite section invitent à nouveau des CE1 pour leur montrer la fourmilière qu’ils ont reçue dans la classe. Durant cette phase, les élèves de CE1 sont invités à aider les élèves de Petite section à dessiner une fourmi suite à l’observation de la fourmilière. Les CE1 avaient pour consigne de ne pas faire à la place de l’élève de Petite section. Plusieurs méthodes ont été utilisées par les CE1 : dicter un plan de dessin, faire un modèle…
En classe, les élèves de Petite section ont continué d’observer les fourmis puis ont eu spontanément des questions pour les CE1. De leur côté, les élèves de CE1 ont fait des recherches dans leur classe. Lors d’une nouvelle rencontre en petit groupe de 2 à 4 élèves, les CE1 ont pu donner leurs réponses. Enfin, les élèves de Petite section sont allés dans la classe de CE1 pour réaliser des activités artistiques. Tout le matériel est à disposition des élèves ainsi que des modèles. Les CE1 ont accompagné les élèves de Petite section à réaliser les productions. Les enseignantes, présentes, n’ont pas été sollicitées par les élèves durant cette dernière phase. Les productions ont été affichées par la suite dans la cour de récréation de l’école. L’objectif de cette expérimentation est de voir si les interactions et l’entraide entre élèves de niveaux différents sont davantage développées par rapport à une classe de PS.
Les premières impressions des élèves montrent qu’ils étaient impatients de se retrouver et les questions des PS ont éveillé la curiosité des plus grands qui ont volontiers fait des recherches sur les insectes et les fourmis. Lors du dessin d’observation des fourmis, les CE1 ont pris très au sérieux leur rôle de tuteur auprès des PS. Certains se sont rapidement rendu compte qu’il fallait adapter son vocabulaire face à des élèves plus jeunes. Au final, chaque élève de PS a dessiné une fourmi. Ce moment, très studieux, a montré les interactions possibles entre élèves. Enfin, lors des productions artistiques les enseignantes ont pu vraiment se mettre en retrait et observer les activités des élèves. Les élèves ont gagné en autonomie, les CE1 accompagnaient les élèves de PS et ces derniers ont montré leur capacité à expliquer les consignes aux plus grands. Les relations entre élèves se sont fluidifiées tout au long de leurs différentes rencontres, ils ont pu ainsi faire preuve d’une plus grande autonomie.
L’expérimentation nous montre que les élèves de Petite section sont très attentifs avec leurs pairs et suivent avec sérieux les apprentissages des élèves plus âgés. Quant aux élèves de CE1, ils prennent leur rôle d’enseignant au sérieux et montrent une réelle application à transmettre leurs connaissances. Les élèves de PS ont appris à poser des questions, à interagir avec « leur CE1 ». Ils ont ainsi expérimenté l’aspect vivre ensemble des programmes. La relation de confiance qui s’est créée tout au long des rencontres a permis aux élèves d’entrer dans une phase d’échanges plus riches. Néanmoins, certains élèves de PS n’ont pas complètement profité de ces échanges langagiers. Ils ont tout de même bénéficié des apprentissages permis par les échanges des pairs. Les CE1 ont appris à se mettre au niveau de leur interlocuteur et ont gagné en autonomie. Ils ont pu verbaliser les difficultés rencontrées lors des différents échanges et également les découvertes qu’ils ont pu faire.
Les élèves en général ont fait part de leur envie de poursuivre un projet tel que celui vécu. Ce projet a permis aux élèves de maternelle de rentrer dans le cadre des programmes officiels de maternelle qui instaurent l’acquisition pour l’élève « [du] goût des activités collectives, prend du plaisir à échanger et à confronter son point de vue à celui des autres. Il apprend les règles de la communication et de l’échange. »[8]. La coopération vécue par les élèves leur permet d’avoir un avant-goût de la vie en société, de vivre avec les autres et d’appréhender la vie en tant que citoyen. Dans une organisation coopérative, les classes de cycle ou multi-âges sont une richesse pour favoriser les échanges et le vivre ensemble. Les relations d’entraide s’instaurent de manière plus naturelles à condition de préparer et de proposer un cadre sécurisant. Les projets de classe, comme celui vécu lors de l’expérimentation, sont un moyen de favoriser les rencontres et les interactions même si une organisation de coopération n’est pas mise en place en classe. Les projets permettent aux élèves de vivre des situations de coopération bénéfiques à leur épanouissement personnel.
[1] CONNAC, S., Apprendre avec les pédagogies actives, Éditions ESF Sciences Humaines, 2021, p.75
[2] LE MENAHEZE, F., Coopérer, s’entraider dans la classe, Éditions ICEM, 2016, p.23
[3] CONNAC, S., Apprendre avec les pédagogies actives, Éditions ESF Sciences Humaines, 2021, p.70
[4] LE MENAHEZE, F., Coopérer, s’entraider dans la classe, Éditions ICEM, 2016
[5] DEMAUGE-BROST, B., Unis dans la diversité, Cahiers Pédagogiques n°543, février 2018
[6] COLLOT, B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, 2003
[7] COLLOT, B., Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, L’Harmattan, 2003, p. 219
[8] MEN, BO n°25 du 24-06-2021

