Le rapport au temps n’est pas inné chez l’enfant : il s’acquiert progressivement, au fil d’expériences sensibles, de rituels scolaires et d’apprentissages structurés. Cette construction s’inscrit dans un travail patient et quotidien qui traverse l’ensemble des dix années de l’enseignement fondamental. De la simple succession d’événements vécus à la compréhension de l’organisation de l’histoire humaine, la perception du temps constitue ainsi un axe majeur de formation, indispensable à la structuration de la pensée et à l’autonomie de l’élève.
En maternelle : apprivoiser la journée et la semaine
Dans les premières années de scolarité, l’enfant ne maîtrise pas encore le déroulement de la journée : il le subit davantage qu’il ne le comprend. Il est donc essentiel de lui offrir, ou mieux encore, de construire avec lui des repères concrets qui jalonneront le temps.
Au petit jardin d’enfants, un premier dispositif consiste à collecter collectivement les activités de la journée et à les représenter par des objets symboliques déposés dans des boîtes que l’on peut ouvrir et refermer. Ainsi, la collation pourra être figurée par un berlingot, la séance de psychomotricité par une sandale de gym, la sieste par une tétine, ou encore le retour des parents par un autre objet choisi. L’enseignant disposera les boîtes selon l’ordre des activités prévues, et les enfants refermeront chaque boîte une fois l’activité accomplie. Ce rituel rend visible le passage du temps et transforme la journée en une succession intelligible d’étapes.
Au moyen jardin d’enfants, l’enfant accède à une première structuration du temps hebdomadaire. Un calendrier en bois, muni de petites portes à ouvrir et à fermer – l’une pour le matin, l’autre pour l’après-midi – matérialise le rythme des jours. La « semaine type » est illustrée à l’aide de dessins ou de symboles simples, qui permettent à l’enfant de s’y repérer et de reconnaître la succession des moments. Pour la première fois, il est ainsi confronté à une vision plus globale du temps, qui dépasse l’unité de la journée. Les comptines des jours de la semaine viennent compléter ce dispositif, en ancrant le repérage temporel dans la mémoire rythmique et sonore de l’enfant.
Au grand jardin d’enfants, la construction temporelle prend une nouvelle ampleur. Les enfants découvrent les premiers rétroplannings, généralement à l’occasion d’un projet collectif de grande envergure, comme la préparation d’une pièce de théâtre. Le spectacle devient alors un horizon temporel qu’il s’agit d’anticiper et de préparer étape par étape. À l’aide d’une frise, ils visualisent le nombre de jours qui les séparent des répétitions ou de la représentation finale.
Parallèlement, les enfants expérimentent des durées plus courtes, rendues visibles par des outils concrets. Sablier et clepsydre servent à mesurer le temps nécessaire à une tâche, et certains sont même construits en classe par les élèves en fonction des besoins. Mais l’outil le plus marquant reste sans doute la « pendule de la pomme de pin » : suspendue à une ficelle, elle oscille d’abord largement puis de plus en plus lentement. Les enfants observent alors que les balancements s’amenuisent, signe que le temps est presque écoulé. Cette matérialisation sensible leur permet de saisir le passage du temps de manière vivante et concrète.
C’est également à cet âge que débute la constitution du « cahier de son histoire », dans lequel chaque enfant raconte, page après page, les grandes étapes de sa vie. On y retrouve, par exemple : la rencontre de ses parents, la période prénatale, sa naissance, son premier anniversaire, sa rentrée à l’école, la naissance d’une petite sœur ou d’un petit frère, ou encore la perte d’une première dent. Ce travail, enrichi au fil des années, établit un premier pont entre le temps personnel de l’enfant et le temps universel. Utilisé et complété jusqu’en deuxième primaire, ce cahier constitue un support évolutif de mémoire et de réflexion sur le passage du temps.
Par ailleurs, les enfants réalisent chaque jour des observations météorologiques collectives, qu’ils illustrent par un dessin avant de les assembler les unes aux autres. Ce rituel simple ouvre progressivement la voie à une première conscience des saisons et des cycles naturels.
« Faute d’espace, la ligne du temps finit parfois en pelote, soigneusement roulée, dont le fil se déploie jusqu’à son extrémité lointaine : celle où les dinosaures trouvent leur place »
Enfin, la construction collective d’un calendrier mensuel, enrichi au fil des jours par la représentation d’une activité marquante, permet aux élèves de se situer dans un temps qui dépasse l’horizon immédiat de la journée. Cette mise en perspective élargit leur rapport au temps et les initie à une vision cyclique et cumulative.
En début de primaire : du calendrier à la datation
En première primaire, la construction du temps s’ancre dans la structuration du calendrier annuel. Ainsi, lors d’un exercice de datation quotidienne, les enfants, après avoir noté les jours de la semaine suivant la rentrée du lundi 25 août, ont poursuivi en inscrivant « lundi 32 août », puis « mardi 33 août », jusqu’au « vendredi 36 août ». Ce n’est qu’à l’occasion d’un anniversaire, signalé par un élève né le 5 septembre, que la classe a pris conscience de l’erreur et s’est interrogée sur le nombre réel de jours que comporte un mois. Cette découverte, issue d’une situation concrète, a constitué un point d’entrée particulièrement fécond dans la compréhension et la construction du calendrier.
Ce travail s’accompagne d’exercices quotidiens qui structurent progressivement le rapport au temps. Le premier prend la forme d’un calendrier météorologique : chaque jour, les enfants notent le temps qu’il fait, ce qui les conduit à observer les saisons et à établir de premières statistiques climatiques. Le second est un « calendrier de mémoire », dans lequel ils consignent une activité réalisée la veille. Ces deux dispositifs favorisent à la fois la mémoire, la métacognition et la capacité à se repérer dans la succession des jours. Peu à peu, les élèves acquièrent ainsi l’habitude de formuler la date complète, en mentionnant le jour, le mois et l’année.
En deuxième primaire, l’apprentissage du temps se complexifie avec l’introduction de l’heure. Les élèves construisent et manipulent leur propre horloge, ce qui leur permet d’expérimenter concrètement la mesure temporelle. Divers exercices viennent étayer cette découverte : ils se chronomètrent lors d’activités afin de confronter leur perception subjective à la réalité physique ; ils ferment les yeux et tentent de les rouvrir exactement au bout d’une minute, constatant alors l’écart entre leur estimation et la durée réelle ; ils prennent conscience que vingt minutes de grammaire paraissent souvent beaucoup plus longues que vingt minutes de récréation ; enfin, ils évaluent le temps nécessaire pour accomplir un trajet, afin de relier l’expérience vécue à la mesure objective.
En troisième primaire, le temps acquiert véritablement une fonction d’outil de mesure. Les élèves apprennent à évaluer la durée d’un trajet ou d’une activité, à confronter leurs estimations à la réalité, et à prendre conscience de l’écoulement du temps comme donnée mesurable. Parallèlement, les premiers récits historiques introduisent une dimension plus lointaine : on ne se limite plus au temps vécu, mais l’on commence à évoquer avec précision des événements du passé. Le temps se déploie alors dans ses différentes dimensions : le temps immédiat de l’expérience, le temps mesurable des activités quotidiennes, et le temps historique qui ouvre l’élève à une perspective plus vaste.
En milieu de primaire : lignes du temps et échelles historiques
La quatrième primaire constitue une étape décisive : celle de la construction des lignes du temps. Les élèves commencent à organiser les événements rencontrés au cours de l’année et s’essaient à la représentation graphique des échelles temporelles. Ils découvrent rapidement les contraintes inhérentes au choix d’une échelle : si « un centimètre pour une année » permet encore de situer la naissance des grands-parents, ce repère devient inadapté dès que l’on souhaite évoquer les chevaliers ou les Gaulois. Par l’expérimentation, les enfants prennent alors conscience de la disproportion des échelles historiques et de l’immensité du temps humain et préhistorique.
Certains projets conduisent ainsi à dérouler plusieurs mètres de ficelle pour représenter la place de Néandertal, au point de devoir quitter la salle de classe pour situer l’apparition des dinosaures. Faute d’espace, la ligne du temps finit parfois en pelote, soigneusement roulée, dont le fil se déploie jusqu’à son extrémité lointaine : celle où les dinosaures trouvent leur place. Ces mises en scène concrètes, à la fois ludiques et parlantes, donnent aux élèves une expérience sensible de l’échelle du temps, bien au-delà de ce que peut transmettre un manuel.
En fin de primaire : planifier et maîtriser le temps
En cinquième primaire, l’accent se déplace vers la planification. Les élèves apprennent à estimer le temps requis pour accomplir une tâche, à fractionner leur travail en étapes successives et à organiser leur agenda de manière réaliste. Cet exercice dépasse la simple gestion scolaire : il développe chez eux une plus grande autonomie, une capacité à anticiper et une maturité dans l’organisation personnelle. Progressivement, ils découvrent que la réussite ne dépend pas seulement de l’effort fourni, mais aussi de la manière dont celui-ci est réparti et inscrit dans le temps.
En sixième primaire, l’objectif est d’atteindre une véritable maîtrise du temps comme facteur d’organisation. Les élèves doivent être capables d’anticiper, de planifier et de réactiver leurs apprentissages en fonction d’échéances précises. Malgré ce long cheminement, il n’est pas rare de voir un élève, à dix heures du matin, s’installer à sa place pour entamer son déjeuner. Cette anecdote, à la fois amusante et révélatrice, rappelle que la construction du temps demeure un apprentissage complexe, jalonné de progrès mais aussi de décalages. Elle souligne combien ce travail requiert de la part des enseignants patience, réflexion et créativité pédagogique.

